Il est des soirées qui sont inoubliables. Une fois n’est pas coutume, au lieu d’adapter le menu aux vins, le menu était imposé et chacun devait apporter la bouteille qui, selon lui, était la mieux adaptée à la situation.
Prenez donc quelques amis amateurs de fruits de mer et de vins, réunissez-les à la maison et cela donne ceci :
Démarrons avec les zakouskis : cubes de saumon fumé au sésame, thé vert et nori avec un Champagne Bollinger RD 1985 (dégorgement en octobre 1998). Au nez des notes d’évolution de noix et de rancio en équilibre avec les notes d’agrumes dont le pamplemousse. En bouche mêmes notes aromatiques d’un champagne évolué avec une belle structure acide qui lui apporte de la fraîcheur et de la longueur.
Nous attaquons le plateau (huîtres bretonnes, huîtres normandes, bulots, bigorneaux, clams, couteaux, moules, bouquets, crevettes grises, tourteaux) avec « l’accord parfait » à savoir le Muscadet « Expression de Granit » 2005 du Domaine de l’Ecu : un beau fruité groseille à maquereau, raisin italien frais et pamplemousse ; en bouche il est vif et possède une belle longueur. Il exprime bien son terroir, on sent le raisin cueilli à maturité … un bien beau muscadet.
Nous poursuivons par une série bourguignonne, tout d’abord nous allons à Chablis avec un Chablis 1er cru Mont de Milieu 2005 de William Fèvre. Un nez de pamplemousse, de raisin frais et de pêche. En bouche, il a une belle fraîcheur encore bien jeune, mais bien prometteur. Le deuxième Chablis est un Grand cru Les Blanchots 1985 du domaine Laroche. Un très beau nez complexe avec un fruité légèrement toasté, une légère note beurrée qui enrobe le tout ; mais ce qui marque le plus, c’est sa belle fraîcheur malgré son age. En bouche les notes d’évolution sont plus marquées, néanmoins, il garde beaucoup de jeunesse.
A tout seigneur, tout honneur, Chevalier-Montrachet 2000 du Domaine Leflaive et son petit frère le 2001. Au nez, le 2000 paraît plus complexe, mais le 2001 est selon mon voisin « plus Chevalier ». En bouche, c’est l’explosion, des notes d’agrumes (essentiellement citron), de pêche, un boisé bien maîtrisé, un léger beurré qui arrondit le tout sans l’alourdir. Le 2001 est plus long que le 2000 et a une finale plus intéressante mais il reste moins complexe. J’ai beaucoup apprécié les 2 Chevaliers avec le tourteau.
Nous continuons par un petit détour dans la région bordelaise avec un Haut-Brion blanc 1983. Le nez est assez fermé, minéral et légèrement pétrolé. L’acidité est marquée en bouche, mais il est profond et complexe. Nous nous attendions à ce qu’il « sauvignonne » avec l’age, mais il n’en est rien. Ce vin fut assez difficile à décrire et assez déconcertant après les Chevaliers. Je l’ai particulièrement aimé avec une huître nature.
Et l’Alsace me diriez-vous ? Nous y arrivons avec un Riesling Cuvée Frédéric Emile 1968 de Trimbach. Immenssissime, grandiose, extraordinaire, que dis-je, fabuleux, ahurissant …. Les mots me manquant pour le décrire, je laisse la parole à l’un des convives : « A l'ouverture, nez immense sur la truffe, les fruits jaunes, fragrances épicées, effluves de mangue, pralin, ça se bouscule dans le verre... à chaque coup de nez c'est un nouvel univers qui s'ouvre à nous. On hume avec un plaisir immense des senteurs délicieuses d'abricot, de bergamote qui n'en finissent pas, qui n'en finissent pas de ne pas en finir... A la première gorgée, je suis surpris par une impression de sucrosité sur l'attaque qui est sans doute plus une forte maturité de raisin et peut être une pointe de botrytis que d'éventuels "résiduels"... ce qui me frappe surtout, c'est que le fruit est là, bien là même, il n'est pas mort, il est même plus que jamais d'actualité... L'attaque est massive, le vin possède une grande présence en bouche, il "prend de la place", il dure, son acidité parfaite le tient debout, et lui permet de jouer les jeunes premiers. Inutile de dire qu'il ne fait pas son âge, ce serait presque l'insulter... Le nectar finit sur des amers nobles c'est à dire agréables, rafraichissants, la complexité de bouche est là, le vrai minéral pointe le bout de son nez, mais c'est un nez de Cyrano... une véritable essence de terroir(s) je vous dis... » Après une telle description que puis-je dire de plus ?
Nous sommes arrivés au bout du plateau et passons aux douceurs : tarte fine aux pommes, macarons et chocolats de Sadaharu Aoki. Promenade en Italie du Nord et plus précisément dans la région du Lac de Garde avec un vin de table doux « Sol Doré » de l’Azienda Agricola Provenza de Walter Contato (non millésimé, acheté en 2003 chez un caviste de Sirmione, à la pointe Sud du lac). Un nez très riche de pomme cuite (cela tombait bien), en bouche des notes de pomme au four, de miel, de quatre-épices, de tabac et légèrement « eau de vie ». Malgré sa sucrosité marquée, il n’est pas lourd et laisse une bouche relativement fraîche.
Retour en France avec un Rivesaltes cuvée Marcel Girves 1947 du Domaine Sainte Croix. Des notes assez étonnantes de vin de noix, de tabac et de pruneaux (« un vin d’Agen » comme disait E.). En bouche c’est l’explosion : noix, pruneaux, confiture de mûre, benjoin et très vieux vinaigre balsamique. Il a en plus une très belle structure acide qui lui apporte une belle finale fraîche.
Une super soirée comme on en passerait plus souvent.
Gwenola